Robert Menot est né en 1891 à Acy-en-Mulcien, petit village de l’Oise à soixante-dix kilomètres à l’est de Paris. Son père est un concepteur constructeur mécanicien de renom, spécialisé dans le matériel agricole : un notable. Robert aime dessiner et crayonne sur les pages blanches de son atlas de géographie. En 1900, Robert a neuf ans. L’usine familiale ne l’intéresse guère. Il n’a qu’un rêve : être artiste. « Artiste ? Ce n’est pas un métier, lui dit son père, tu seras ingénieur. » À cette époque, on ne désobéit guère. Après le baccalauréat,c’est donc l’Institut Breguet de Paris, aujourd’hui ESIEE,alors spécialisé dans l’ingénierie électrique.
Robert a dix-neuf ans quand son père décède. La même année, son directeur d’étude l’abandonne et il rate ses examens. Pour dépasser ces épreuves, sa mère l’envoie à Grenoble où il intègre l’Institut électrotechnique, aujourd’hui Institut polytechnique. Toutes ces années, il n’a pas abandonné son rêve et ne cesse de dessiner : paysages, scènes animées, portraits… Ses premières publications? Les dépliants annonçant fêtes et revues étudiantes : les caricatures des professeurs et administrateurs y tiennent une bonne place.
Quand vient la Grande Guerre, Robert a vingt-trois ans et effectue depuis deux ans déjà son service militaire qu’il mène de front avec ses études. Pendant quatre ans, sapeur-télégraphiste dans le Génie, il sera en première ligne où, dit une des citations qu’il reçoit, « il s’acquitte sans souci du danger des travaux périlleux qui lui sont confiés, donnant un bel exemple de courage et de sang-froid ». Une expérience traumatisante dont il refusait de parler. En pleine guerre, Robert se fiance en catimini puis épouse à l’église Saint-Bruno de Grenoble Denise Laurent, la soeur d’un camarade de promotion. Ils auront deux filles : Denise et Simone.
La guerre se termine. Robert, toujours soldat et pipe au bec, est envoyé en Allemagne dans les troupes d’occupation, puis revient à la vie civile à Paris après sept années de vie militaire. Chargé de famille, il doit maintenant trouver comment gagner sa vie. Premier emploi : directeur technique pour l’aménagement d’un barrage, la construction d’un canal, la fabrication de gélosines… « À la suite de la grave crise communiste de l’époque, j’ai perdu cette situation, faute de travail, malgré un contrat. » Première affaire : le Téléphone Sans Fil, conception et construction de radios. Un succès : elles se cachent à l’intérieur de meubles de classe et captent l’Amérique ! Robert y travaille pendant trois ans, sans beaucoup d’enthousiasme, jusqu’à ce que son associé… parte avec la caisse.
Il se décide alors à entrer dans un atelier de dessin à Paris. Il n’y reste que trois petits mois, le temps d’obtenir une médaille d’or à l’exposition des Arts décoratifs de Paris, en 1925.
Robert a été gazé pendant la guerre, sa santé en souffre, il est nécessaire pour lui de retrouver le bon air de la montagne. Les Menot retournent ainsi à Grenoble et achètent une mercerie cours Berriat, À la fileuse. Le magasin est en bas, le logement en haut. Denise s’occupe du magasin, il installe sa planche à dessin sous l’escalier qui monte à l’étage. Les Alpes Sportives publient ses caricatures de concours boulistes et autres régates nautiques.
Il doit d’abord se trouver un nom de plume. Premier essai : Errême comme ses initiales RM, à l’image de ce que fera Rémi Georges, dit Hergé. La signature se finalise en Rob d’Ac : ROBert d’ACy (en-Multien). Il lui faut aussi se faire connaître. Rob d’Ac décline son logo,accroche sa plaque sur la porte et fait sa propre publicité dans la presse locale. « Dessinateur d’art publicitaire, affiches, création de marques, dépliants, catalogues, annonces, tous dessins de publicité, chercher et trouver des idées qui vendent ! »
Rob d’Ac a une haute idée de son métier. Il se considère commeun passeur, un inventeur, un créateur. Il se voit comme un relai entre le produit et le sujet à atteindre : « un crayon qui pense ! » Le succès vient vite et Rob d’Ac devient, pour trente ans, témoin et acteur de son temps à Grenoble, en Rhône-Alpes et au-delà, dans tous les aspects de la vie économique, sociale, sportive, touristique, associative, culturelle. Artiste publicitaire connu et reconnu, son travail s’affiche sur les murs, dans les quotidiens et dans les grands évènements. Il mène les campagnes publicitaires des entreprises et des petits commerces et illustre livres d’enfants et guides touristiques…
Chaque projet est unique, concerne un produit spécifique et s’adresse à un public particulier. Le style de l’illustration, la typographie et la mise en page s’adaptent. Essais de rythme, de trames… Son travail pour le catalogue du fabricant lyonnais de papiers Keller Dorian est représentatif de ses recherches. Papiers fantaisies gaufrés, veloutés et autres, il y en a de toutes sortes et Rob d’Ac, inspiré par la trame, le relief, la couleur, va adapter ses dessins en s’accordant aux supports. Une belle inventivité !
Dans « l’art publicitaire », Rob d’Ac embrasse tout : concept, rendu,mise en forme. Tout est fait à la main, lettre, dessin, couleurs. Pour être efficace, l’affiche doit être lue et comprise rapidement. Sa composition s’adapte le plus souvent possible aux habitudes de lecture de gauche à droite et de haut en bas.
Rob d’Ac théorise la couleur. Il pense que les couleurs ont une signification symbolique, mais aussi concrète, et sont l’« expression de la vie intérieure ». Il se constitue des catalogues personnels, des bibliothèques de couleurs référencées par projet ou par marque. Il essaie pinceaux, plumes, crayons, stylos, chaque couleur ayant sa référence et son rendu, sec et mouillé, dégradé. Il travaille essentiellement à la gouache, à la plume et aux crayons de couleurs ou gras, à la carte à gratter.
Que suis-je ? Rob d’Ac se pose aussi cette question très personnelle. Une interrogation à laquelle chaque créateur dans les métiers d’art doit faire face. Où et comment me situer dans la société, comment m’estimer ? Suis-je un artisan exécutant scrupuleusement une commande en suivant au mieux les règles du métier comme un honnête cordonnier ou suis-je un « artiste appliqué » s’adaptant aux demandes, mais donnant un caractère personnel plus créatif à la commande ? Suis-je encore un artiste au plein sens du terme,comme un peintre ou un sculpteur, jaloux de son indépendance et libre de donner sa propre interprétation de la commande, et même demandant à celle-ci de suivre l’Art ? Rob d’Ac dira finalement qu’il ne se pensait pas comme un peintre des Beaux-Arts à l’instar de Matisse, Klee ou Picasso, mais plutôt comme un illustrateur, un dessinateur des arts appliqués.
Il avait d’ailleurs toujours un carnet de croquis dans la poche et dessinait sans cesse. Au crayon gras, des milliers de personnages, animaux, paysages. Et tout autant de caricatures. Croquer, toujours croquer, au tribunal, dans la rue et sur scène, les joueurs de rugby comme les boulistes du dimanche. Toutes ces têtes sont source d’inspiration pour ses illustrations de livres.
À la fin de sa vie professionnelle, dans les années 1950, Rob d’Ac se consacre au plaisir de la recherche formelle. Par exemple, comment graphiquement, à la fois nommer et dessiner ? Voir et ce faisant, lire ? Il crée alors des « idéogrammes » où les lettres des mots dessinent la peur, la faim, la mode, la paix, le scandale… et même André Gide ! Parallèlement,Rob d’Ac travaille la lettrine et synthétise son amour du dessin et de la lettre.
Avec ce qu’il appelle les « zoomorphes », il marie remarquablement ses recherches sur les idéogrammes et sur les lettrines. Dans la série d’illustrations pour les Histoires naturelles de Jules Renard, il fait de belles choses, innovantes, drôles et poétiques. Il décline ainsi plus de cent « animots » ! Les zoomorphes représentent l’essence même du trait de Rob d’Ac, précis et élégant. Il y tenait beaucoup, faisant breveter chaque modèle et cherchant en vain un éditeur. Ce n’est que dans les années 1990 que Les Animaux s’écrivent suivi de Lettrines seront publiés chez l’éditeur Voix d’encre.
Rob d’Ac était un artiste publicitaire et un poète qui nous transmettait la beauté des formes et des couleurs. Illustrateur jusqu’au bout, il dessinera sur des carnets, depuis son lit de souffrance, les traitements qu’on lui inflige pour tenter de guérir son cancer. Il y notera aussi son amour pour sa femme, ses enfants et petits-enfants…
Depuis son décès en 1963, ses descendants continuent de faire vivre le patrimoine graphique qu’il a laissé. C’est ainsi que, dans les années 2000, ils décident de rassembler et numériser les milliers de pièces de son oeuvre pour la préserver et mieux la faire connaître. Un travail enfin achevé dont un livre et ce site sont les premières récompenses.
Stéphane et Denis Malbos
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@Les amis de Rob d’Ac2022